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étrange étranger

21 mars 2008 de 20h30 à 21 juin 2008 de 23h59

étrange étranger

Il y a autre chose ici que ce simple écoulement de notre personnalité entre ses propres rives : il y a l’autre, l’autre absolu, un être étranger qui m’a appartenu.

Fernando Pessoa, poète (Le Livre de l’Intranquillité de Bernardo Soares)
 
Quelles images de l’altérité le cinéma documentaire, dit du réel, peut-il explorer et concevoir aujourd’hui ? Cette interrogation guide la démarche de Peuple et Culture Marseille à l’occasion de ce nouveau cycle de films, porté par l’Atelier de programmation et qui vient poursuivre ceux des deux années précédentes, Identités remarquables 1 et 2.
 
La figure qui aujourd’hui condense les paradigmes de l’altérité semble bien être celle de l’étranger, celui qui n’est pas d’ici et qui toujours questionne et bouscule l’identité, la sienne comme la nôtre. Pourtant c’est oublier bien vite l’ambiguïté de ces termes. S’il est toujours celui qui vient d’un ailleurs, proche ou distant, les multiples appartenances de l’autre peuvent ne pas être si différentes des nôtres, et nous sommes parfois étrangers à nous-mêmes comme nous sentons l’autre étrangement familier. Avec tous les inconforts, les malaises, les angoisses, les surprises, parasitages cocasses et drôles d’intrusions que ces confrontations suscitent. Avec tout ce et tous ceux que nous prenons, rejetons ou retenons, tant dans les espaces publics et ouverts du politique et du social que dans ceux, privés et circonscrits, de l’intime et du clandestin ; et jusque sur le versant animal du monde, dans l’altérité radicale.
L’étrange, lui aussi, est ce qui est singulier, original, insolite ou bizarre, à l’extérieur des normes. Comment le désigner sans employer des mots et images trop vagues ou dangereusement trop précis, en signifiant quand même cet autre côté où il se tient et où nous le maintenons, comme des corps non-conformes tenus hors de nos vues mais entrant dans le champ ? Et comment mon(s)trer ce qui fait vaciller nos représentations et perceptions habituelles, nos fantasmes, nos constructions socialisantes ou aliénantes, sans en stigmatiser les signes spectaculaires ?
 
étrange étranger, entre ces deux termes, ici accolés, existe-t-il une quelconque communauté, une relation ? Et les langages artistiques sauraient-ils la dire, s’ils créent de nouvelles dialectiques entre éthique et esthétique ?
 
Cette programmation propose une entrevue de ces deux termes. Elle a cherché, par la confrontation d’individus au sein d’un groupe, à co-construire pour montrer la variété des angles et objectifs de caméras et de micros dont la propre altérité altère en modifiant les places. Des cinéastes, des poètes, des créateurs de sons et une artiste performeuse, Astrid Lefèvre, chorégraphe de la Cie Mute.in, explorant les frontières entre le vécu et le perçu, se sont infiltrés dans les interstices presque invisibles de ces deux mots, et ont cherché du côté de l’indéfinissable, de l’irreprésentable, de l’indicible, de l’innommable. De l’infilmable ? A voir… 

Mais aussi à dire, entendre et débattre au fil de ces séances, toutes présentées par celles et ceux qui les ont conçues ; et dans la convivialité de repas partagés.

 


Programme

Le regard métamorphose
 
vendredi 21 mars 
 
Cadavres exquis, Collectif (France, 2007, 6 mn)
« Un film qui inspire une musique qui inspire un film qui inspire une musique qui… »
 
France 2007 de Jun Gee Jung (France, 2007, 20 mn) 
Un objet de récupération, une pellicule travaillée par les années, d'un autre temps. Jun Gee Jung va à la rencontre d’hommes, de femmes, d’enfants, dans un camp de fortune, en France, en 2007. Les paroles ne s’entendent pas, le son est absent, l’objet caméra devient une proposition de communication entre ces deux ailleurs. Observation, découverte mutuelle, étrangeté réciproque… Deux réalités actuelles qui s’accrochent à la pellicule et s’opposent.
 
Khak e Tadjikistan de Anne Céline Bossu (France, 2007, 28 mn)
Au Tadjikistan des regards, des visages, des gestes quotidiens, des voix qui nous parlent bien qu’on ne les comprenne pas. Nous les entendons : une humanité familière, accueillante.
« Nous sommes tous des invités sur Terre… Je suis partie au milieu des montagnes, loin, là où la terre se nomme Zamin. Sar zamin, ob o gèl, mars o bôm, vatan… »
 
Love and Words de Sylvie Ballyot (France, 2007, 44 mn) 
Aller-retour entre un pays étranger et le sien. Impressions qui se fixent au cours du voyage, succession d'images et de mots. Au fil des yeux qui se croisent et des mots qui s'échangent, l'amour, des regards qui s'inversent. Ainsi commence le film : "Je pars au Yémen pour filmer une femme. Le tournage s'arrête au bout de quelques jours car il met la vie de cette femme en danger. Que filmer dès lors que ce que je voulais filmer s'avère impossible ?"
 
 
A nos corps hors de vue
 
vendredi 28 mars
 
L'enfant aveugle de Johan van der Keuken (Pays-Bas, 1964, 24 mn)
Une approche en creux qui touche de près des corps innocents, ceux d’enfants aveugles, étranges, car impudiques à nos regards de voyants. Gestuelle, elle aussi étrange, livrée au seul désir du corps, détachée de principes extérieurs et n'obéissant qu'à sa propre loi, si étrangère…
 
Mistermissmissmister de Ana Borralho et Joao Galante (Portugal, 2002, 11 mn)
La caméra capte une performance “ spectaculaire ” : dans un dispositif simple de face à face, les regards circulent et les rôles observateur-observé s’inversent sans cesse. La division binaire des sexes et des genres est trans-gressée par les corps qui se montrent, renversant la perception et la représentation du corps, du sexe, du genre.
 
Hiding In Plain Site de Emma Waltraud Howes (Canada, 2006, 7 mn)
Un seul corps en prise avec lui-même dans un espace cadré par la danse, par la vie ou par tout ce que l'on peut se figurer. « Une recherche sur le besoin de se cacher et le désir d'être vu », au travers de nos étrangetés.
 
La maison est noire de Forough Farrokhzâd (Iran, 1962, 22 mn) 
Des êtres exclus par la lèpre vivent ensemble la quotidienneté d’un village-hôpital. Commande d’une société caritative iranienne, ce film de la poétesse Forough Farrokhzâd questionne la beauté, la souffrance et la norme à travers l’étrangeté des corps que la maladie transforme ou menace. 
« Ce monde est plein de laideur, il y en aurait davantage si l’homme en détournait les yeux… »
 
 Invitation à Astrid Lefèvre de la Cie Mute.in 
 
Dimanche 13 avril /Maison de Théâtre la Cité
 
Atelier de danse contemporaine animé par Astrid Lefèvre
 
Cet atelier ouvert à tous, à mi-parcours de la programmation étrange étranger, invite par le travail d’improvisation et de composition, à la création de sens et d’images. Il propose de partager un temps de travail autour d’un axe de recherche de la pièce Party Time, ou comment l’environnement social et urbain conditionne notre appréhension de l’espace. Nous utiliserons un langage chorégraphique et plastique pour lequel les corps et l’espace agiront à la manière d’un tableau vivant en transformation. Nous chercherons à traduire un espace de vie symbolique issu de l’imaginaire individuel et collectif pour explorer les capacités du corps à s’y adapter, et recréer de la mobilité.
De ce support spatial, le corps, la musique ainsi que des éléments scénographiques serviront de moteurs à révéler des images.
L’action dansée s’écrit ainsi à partir d’une structure où les éléments convergent pour créer un abécédaire des nouvelles postures adoptées, induites par une représentation de l’environnement urbain intime et public.
Inscription conseillée – Participation 6 euros
 
Party Time, performance chorégraphique et sonore de la Cie Mute.in (50 mn) 
Chorégraphie : Astrid Lefèvre, Création sonore: 9th cloud, Création lumière : Romain Mercier,  Costume : Caroline Bouffenie
 
Party Time est en prise directe avec la vie quotidienne. Inspirée du réel, elle vient questionner les limites de l’espace social, celles du territoire, de la ville, mais aussi celles de notre propre corps, socialement construites. Dans cette mise en espace du corps social, le spectateur-intrus est invité à franchir ces barrières symboliques, à pénétrer l’espace scénique et ainsi à venir troubler les codes qui le régissent. La danseuse arpente cet espace. Elle incarne le corps social féminin, ordonné sexuellement. Le corps jusqu’alors en représentation va devoir ré-agir, s’accommoder, s’adapter, et ainsi explorer de nouveaux comportements physiques possibles. Il va se déployer et ainsi acter poétiquement. 
 
Sur la piste animale
 
jeudi 24 avril
 
Grizzly Man de Werner Herzog  (USA, 2005, 103 mn) 
L’incroyable destinée de Timothy Treadwell, écologiste illuminé qui a passé treize étés aux côtés des grizzlys d’une réserve d’Alaska. Treadwell s’est approché des ours de plus en plus près, défiant la frontière entre l’homme et l’animal, jusqu’à la franchir par un ultime et fatal passage. 
 
vendredi 25 avril 
 
L’effraie – evn-frizer  de Yann Paranthoën (France, 1995, 16 mn) 
pièce radiophonique bilingue français/breton
Bribes de voix, entrelacement des langues, intensité d’une nature frémissante, tissus légendaires : sur la piste de la chouette effraie, une nuit en Bretagne.
 
Histoires d’œufs de Emmanuel Roy (France, 2006, 43 mn)
Périple d’un vétérinaire du zoo de Doué-la-Fontaine qui, chaque année, apporte des œufs de grues dans une réserve située à l’extrême-est de la Sibérie. L’occasion de s’interroger, dans les résonances entre l’homme et l’animal, sur les migrations, les libertés et les mythologies.
 
Après les pluies (France, 2003, 8 mn), Sur la terre (France, 2005, 13 mn),
Les yeux ronds (France, 2006, 4 mn 30), trois films de Ariane Michel
Un chien erre dans un paysage inondé du Gard ; des morses s’étirent sur un rivage arctique ; une chouette scrute la place de la Concorde. Synopsis courts, substance dense, les films d’Ariane Michel travaillent la figure de l’animal, non pas comme sujet d’étude en tant que tel, mais plutôt comme vecteur pour appréhender une autre façon d’être et de regarder le monde.
 
L’autre, proche et si étranger
 
mercredi 14 mai
 
Le voleur vit en enfer de Robert Morin (Canada, 1982, 20 mn)
Le voisin d'en-dessous chante. Morin regarde par sa fenêtre. Il filme au hasard les événements de sa rue qui ne sera bientôt plus. Tout va être démoli. Ces voisins étrangers et à la fois proches vont disparaître. Le rapport au cadre est essentiel, avec lui se joue tout notre rapport à la représentation, comme si l’autre n’était toujours qu’une image. C'est dans l’absence de cadre que l’on peut franchir la distance qui nous sépare d'autrui. A croire que l’étranger ne tient qu’à l’éloignement. 
 
Petit Pow-Pow Noël de Robert Morin (Canada, 2005, 100 mn)
Le cinéaste, caméra et seringue au poing, va, un 24 décembre, à l’hôpital pour tuer son père grabataire et autiste. On assiste à une scène très intime entre deux hommes qui ne partagent pas d'intimité. On voit le père, diminué. On entend le fils, vengeur. Un suspens à la limite du sordide. La violence des mots semble démesurée envers cet homme presque déjà mort. Trip exhibitionniste ou tentative pudique ? En tout cas, inconfort assuré du spectateur.
 
Inquiétante étrangeté
 
jeudi 15 mai
 
Les maîtres fous de Jean Rouch (France, 1955, 24 mn)
A Accra au Ghana, des émigrants nigériens pratiquent le culte des Haouka : les dieux invoqués doivent prendre possession des adeptes. Ce ne sont plus des dieux traditionnels, mais des fétiches occidentaux issus du colonialisme : soldats, gouverneur, locomotives. Derrière la figure de ces dieux est symbolisé l’ordre hiérarchique et mécanique du monde industriel. Derrière le délire et la transe, un jeu de miroir dérangeant.
 
Ce gamin-là de Fernand Deligny et Renaud Victor (France, 1975, 88 mn)
Un film mutique en noir et blanc avec des enfants autistes, des enfants sans langue, des enfants INcurables, INsupportables, INvivables, INexistants, et qui pourtant sont là, entre l'eau, la pierre, l’air et le feu, comme s'ils étaient "faits d'autre chose que de langage", de quelque chose qui ne nous regarde pas, nous, "aveugles de parlants", nous qui parlons "comme si c'était tout naturel". Un film où l’on existe en-dehors des mots, où le corps lie l'être au monde. 
 
Invitation à Natacha Samuel, réalisatrice, scénariste, écrivain
 
Mercredi 21 mai 
 
Pola à 27 ans de Natacha Samuel (France, 2002, 55 mn)
« Pola était une petite juive de Varsovie. Entre 1944 et 1945 – elle a 27 ans – elle a perdu toute sa famille à Auschwitz, où elle a elle-même vécu l’enfer pendant un an. Pola n’est jamais retournée à Varsovie… Pola est ma grand-mère. Moi j’ai eu 27 ans cette année, et vraiment très envie de comprendre la mémoire que Pola gardait de ses 27 ans. On a décidé de partir toutes les deux sur les traces de ses souvenirs, dans ce pays qui m’a toujours semblé beaucoup plus loin que la Chine. »
« Avec une caméra vidéo, la jeune cinéaste interroge sa grand-mère sur ce passé qui, dans sa violence, sa puissance de néantisation, se conçoit à peine. Le savoir par les livres d’histoire, les films d’archives, le récit familial a gelé l’expérience de la déportation dans un temps qui ne semble pas devoir communiquer avec le présent (…)
Le désir de ressouder par les images du pays perdu le passé et le présent aboutit à un drôle de constat où entrent le fatalisme, l’amertume et la mélancolie. “Tout l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire” écrit Baudelaire et le film superpose la stupeur de la cinéaste aux lignes de souvenirs dont on ne sait plus, à force, si elles s’effacent ou revivent. »

Extrait d’un article de Didier Péron, Libération, 19 mars 2003
 
J'ai besoin d'air de Natacha Samuel (France, 2005, 45 mn)
Mois d'août dans la ville. La chaleur écrase le bitume. Fin d’un long amour, solitude. Comment apprivoiser le vide ? Partir, quitter la ville. Aller vers d'autres paysages, prendre l'air. Retrouver les amis, la douceur. Mais quand ils ne sont plus là ? Rencontrer un autre homme, son corps, sa peau, son odeur. Il est beau. Anna baise et retrouve le sourire. Mais après, de nouveau : comment apprivoiser le vide ? En acceptant que le vide n'existe pas. Et en laissant ses pas la guider vers la mer et l’oubli. 

 

Née en 1973, Natacha Samuel est une jeune réalisatrice qui a déjà à son actif un film documentaire – Pola à 27 ans – et une fiction – J’ai besoin d’air – qui ont été sélectionnés et primés dans de nombreux festivals en France et à l’étranger, parmi lesquels Locarno, Turin, Belfort, Pantin, et plus près de Marseille, Digne-les-bains où J’ai besoin d’air a reçu des mains de Françoise Lebrun le grand prix du jury qu’elle présidait.

Elle a aussi publié en 2006 un essai documentaire chez Albin Michel, Si loin si proches.

Son travail questionne avec justesse les notions de perte, de différence et d’étrangeté à soi et au monde. Elle met en perspective ce que pourrait être l’étranger sous sa forme la plus radicale, qui se loge dans le rapport à soi, mais aussi de ce “je” au monde. L’étranger ne naîtrait-il pas dès lors qu’il y a affirmation d’un quelconque sujet en dehors de toute appartenance ?

L’intrus
 

Jeudi 29 mai 

Capsular de Herman Asselberghs (Belgique, 2006, 24 mn)

L’enclave espagnole de Ciudad Autonoma de Ceuta est à mi-chemin entre la ville et la commu- nauté autonome. Autrefois sous l’administration de la province espagnole de Cadiz, Ceuta est si- tuée en bordure de la côte marocaine et fait dorénavant partie de l’Union Européenne. Cette enclave de l’Europe néo-libérale et de sa politique xénophobe à l’encontre des réfugiés agit comme une version contemporaine du rideau de fer.

N’entre pas sans violence dans la nuit de Sylvain George (France, 2005-2007, 20 mn) A Paris, la police effectue dans la rue d’un quartier populaire une rafle de sans-papiers. Les passants s’arrêtent, regardent, s’interrogent, parlent. Un collectif de résistance est sur les lieux. La rue grossit, gronde, s’enfle des voix qui ne peuvent être indifférentes ou muettes…

De l’autre côté de Chantal Akerman (France, 2002, 99 mn) San Diego, Californie. Tout le dispositif de protection des frontières états-uniennes a été renforcé, refoulant les immigrés clandestins mexicains vers les dangereuses régions désertiques de l’Arizona. Parcours d’un côté, de l’autre ; paroles d’un côté, de l’autre ; entre fantasmes et réalité. Ce film est le dernier d’une trilogie de carnets de voyage sur l’Autre, après D’Est (1993) et Sud (1999).

Jeudi 5 juin

La blessure de Nicolas Klotz (France, 2004, 160 mn) La France, terre d'asile ? Entre réalisme brutal et poésie le film décrit, sans aucune concession spectaculaire, le calvaire des demandeurs d'asile venus d'Afrique centrale. Un travail cinématographique et esthétique épuré, situé à la croisée de la fiction et du documentaire.

 

 

 

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